64. Fumée noire
Les voiles dorées, gonflées de lumière, glissaient vers leur objectif final.
Avant d’atterrir suivant les directives du « Mode d’emploi », Adrien-18, qui était devenu assez adroit dans le pilotage du Moucheron 2, se plaça en orbite pour examiner la planète de loin.
Mais il ne pouvait en distinguer la surface, masquée par un manteau gris-noir de nuages opaques.
— Il y a une atmosphère, ça c’est déjà un point positif.
— Et aussi une gravité, mais elle est plus faible que celle que nous avions dans le vaisseau, nous allons nous fatiguer vite.
— Nous dormirons beaucoup.
— Et si on a des enfants, ils seront plus grands que nous, murmura-t-il, si doucement qu’elle ne l’entendit pas.
Face à leurs yeux éblouis le cercle gris de la planète étrangère ne cessait de grandir.
— J’ai un mauvais pressentiment, avoua-t-elle.
— Il faut faire confiance à Yves-1, répondit-il, pourtant passablement anxieux lui aussi.
— Et s’il s’était trompé ? De loin on ne peut pas vraiment distinguer une planète. Encore moins sa capacité à accueillir des humains.
Il se mordit les lèvres.
— Le seul moyen de savoir, c’est d’y aller.
Ils ajustèrent leurs ceintures de sécurité.
— Prête ?
Adrien-18 actionna une manette et le Moucheron 2 pénétra dans le manteau de nuages avec un bruit de tempête, puis un vacarme assourdissant.
L’air, en frottant la carlingue, se mit à tout faire vibrer. Les grandes ailes, sous la violence du frottement, s’enflammèrent d’un coup comme un insecte entrant dans la flamme d’une bougie. Le moucheron sans ailes accéléra sa chute.
Les deux humains se cramponnaient à leurs sièges. Les écrans indiquèrent une surchauffe. Une fumée blanche sortait du museau du moucheron.
— Nous allons mourir… ! hoqueta Élisabeth-15.
La température montait dans le vaisseau, les petites ampoules des systèmes de contrôle explosèrent les unes après les autres comme des pétards. La secousse ne cessait de s’amplifier.
Soudain un mécanisme se mit automatiquement en marche et deux petites ailes de métal se déployèrent sur les côtés, des tuyères entrèrent en action, transformant le vaisseau spatial en avion. Cependant la vitesse était encore trop grande. L’engin ne trouvait pas de portance.
Le métal commença à chauffer et à rougir. Des flammes apparurent aux extrémités des ailes. Une abominable odeur de brûlé envahit tout l’habitacle.
Élisabeth-15 commença à suffoquer. Adrien-18 fermait les yeux, résigné, cherchant de l’air.
Puis la vibration s’atténua. Après avoir chuté comme une météorite, le Moucheron amorça un début de courbe. La fumée se dissipa, révélant ce qu’il y avait derrière la muraille de nuages.
Ils se regardèrent, étonnés de vivre encore. L’engin maintenant planait, Adrien-18, agrippé au manche de guidage, commença à maîtriser sa trajectoire.
Devant leurs yeux s’étendait le monde du dessous. Tout était lisse et brillant.
Ils auraient pu se croire sur une planète de glace, s’ils n’avaient distingué comme un clapotis sur la brillance.
— De l’eau. Il y a de l’eau sur cette planète.
— Il n’y a même que ça. C’est un océan à perte de vue : une planète liquide. Nous sommes fichus, murmura Élisabeth-15.
— Nous n’aurons qu’à vivre sur un bateau, notre vaisseau transformé en radeau par exemple. Nous nous nourrirons des poissons que nous pêcherons, comme sur le lac…
— Tu parles. Je crois qu’Yves avait repéré de loin l’atmosphère et l’eau, mais pas qu’il n’y avait que ça. Nous aurions mieux fait d’atterrir sur le satellite, au moins il y avait des cratères, donc un sol solide.
— Non, il n’y avait pas d’atmosphère. De toute façon nous ne pouvons plus quitter cette gravité. Alors quelles que soient les conditions de cette planète, si on veut survivre il faudra s’adapter.
— J’aime pas le poisson, énonça Élisabeth-15 en retrouvant peu à peu sa respiration.
Mais l’un des réacteurs avait été trop malmené par les secousses de l’entrée dans l’atmosphère. Après avoir toussé et craché un peu de fumée, il explosa.
Le Moucheron perdit sa portance et ils recommencèrent à chuter, à peine ralentis par les ailes de métal.
— Enfile vite ton scaphandre ! lança-t-il en désignant les costumes argentés placés derrière leurs sièges.
Ils se démenèrent et parvinrent à entrer dans les tenues trop grandes puis à boucler les ceintures de sécurité.
— Tu m’entends ?
À leur grande surprise un système de radio à piles leur permettait de communiquer malgré leurs casques transparents hermétiques. Les bouteilles d’oxygène dorsales leur fournirent un air difficile à respirer, qui avait une odeur de moisi.
Le Moucheron n’en finissait pas de tomber.
C’est alors qu’apparut devant eux, au loin, une forme immobile qu’ils prirent au début pour un nuage sombre.
— Là, regarde, clama la jeune fille. Une île !
Les ailes de métal s’embrasèrent à nouveau, cette fois avec des grandes flammèches.
— Ce serait trop stupide d’échouer maintenant ! enragea Adrien-18 en tirant de toutes ses forces sur le manche.
Mais l’engin avait encore trop de vitesse et de larges rubans de fumée blanche s’élevaient à l’avant du Moucheron, leur masquant la vue.
— Essaie de rejoindre l’île ! hurla Élisabeth-15.
— Je ne fais que ça ! répondit Adrien, cramponné à son manche agité de soubresauts.
Il se saisit de Nouvelle planète : mode d’emploi qu’il consulta convulsivement puis, après avoir actionné plusieurs manettes, annonça dans le vacarme et la fumée qui commençait à envahir le cockpit :
— Procédure d’atterrissage sur planète inconnue enclenchée.
Le Moucheron approchait du sol à grande vitesse et son pilote ne savait comment ralentir l’engin en feu. Il finit par trouver une commande qui actionnait le déploiement de parachutes mais il était trop tard. Ces derniers s’enflammèrent aussitôt.
— Nous allons être pulvérisés ! cria Élisabeth-15 en fermant les yeux.
Adrien-18 trouva une manette qui sortit une nouvelle série de parachutes de secours et la navette fut un peu ralentie, alors que le sol se rapprochait à grande vitesse. Trop grande vitesse.
À nouveau il parvint à redresser le nez du Moucheron qui trouva assez de portance pour finir la courbe.
Le sol fonçait vers eux.
Choc.
Leurs ceintures de sécurité cédèrent.
Ils furent arrachés de leurs sièges et projetés contre la vitre du Moucheron qu’ils traversèrent dans un fracas de verre pulvérisé.